Le Liban entre le jeu des nations et les tractations des grandes puissances : Assiste-t-on à un nouveau Yalta ? Docteur Gilbert Moujabber

Le Liban entre le jeu des nations et les tractations des grandes puissances : Assiste-t-on à un nouveau Yalta ?
Docteur Gilbert Moujabber
Au cœur des crises politiques qui secouent le Liban, une question fondamentale émerge : dans quelle mesure les Libanais sont-ils capables de déterminer leur propre destin, ou sont-ils condamnés à rester les otages des grandes puissances et de leurs accords internationaux ? Cette question n’est pas nouvelle. Elle s’est posée à maintes reprises dans l’histoire du Liban, où ses décisions souveraines ont souvent été influencées, voire dictées, par les grandes puissances, plutôt que par une volonté purement interne.
Aujourd’hui, face à la persistance des tensions régionales et internationales, se pose à nouveau la question : assistons-nous à un nouveau « Yalta », où les grandes puissances redéfinissent les cartes d’influence au Moyen-Orient, comme ce fut le cas après la Seconde Guerre mondiale ? Le Liban restera-t-il prisonnier du jeu des nations ou pourra-t-il, enfin, imposer de nouvelles équations qui placent ses propres intérêts au-dessus des intérêts internationaux ?
Le Liban et les scénarios des grandes ententes
Le Liban est depuis longtemps une arène où se croisent les intérêts des grandes puissances internationales et régionales. En 1979, le général Raymond Edde prévenait que la solution libanaise ne viendrait pas d’une démarche locale, mais qu’elle serait décidée dans les grandes capitales, principalement Washington et Moscou. Il s’appuyait sur une lecture stratégique de la réalité libanaise, estimant que les États-Unis et l’Union soviétique se partageaient l’influence, à l’instar de ce qui s’était passé lors de la conférence de Yalta en 1945, lorsque les grandes puissances redéfinirent les frontières du monde selon leurs intérêts.
Aujourd’hui, bien que les acteurs internationaux aient changé, le Liban demeure un terrain de conflit entre les anciennes et nouvelles puissances. L’influence de Washington et de Moscou perdure, mais elle s’accompagne désormais de l’intervention d’autres puissances régionales, telles que l’Iran et les pays du Golfe. Dans ce contexte, la solution libanaise pourrait-elle faire partie d’un nouvel accord entre ces puissances, négocié dans une capitale régionale comme Riyad ? Le Liban pourrait-il être un enjeu dans une redistribution des cartes d’influence au Moyen-Orient ?
Pétrole et intérêts économiques : la face cachée du conflit
Les ressources économiques, notamment le pétrole et le gaz, ont toujours été au cœur de la politique internationale. Le Liban, avec ses ressources gazières sous-exploitées en Méditerranée, fait désormais partie de l’équation régionale liée à la compétition entre grandes puissances pour contrôler les routes énergétiques. Cette compétition, ajoutée aux enjeux géopolitiques, fait du Liban un acteur malgré sa petite taille, mais un acteur pris dans une dynamique qui le place souvent en marge de sa propre souveraineté.
Tout accord international sur le Liban sera probablement lié à des accords plus larges concernant la répartition de l’influence au Moyen-Orient, incluant la Syrie, l’Irak, et l’Iran, ainsi que les enjeux pétroliers dans le Golfe.
Existe-t-il un espoir de briser ce cercle vicieux ?
Malgré ce tableau sombre, une question demeure : le Liban peut-il sortir du cercle des accords internationaux et imposer une nouvelle équation ? L’histoire montre que les petits pays, lorsqu’ils parviennent à prendre en main leur souveraineté, peuvent réussir à s’imposer dans le jeu des grandes puissances. Mais la réalité libanaise, marquée par des divisions profondes, rend difficile la construction d’une unité interne nécessaire pour garantir l’indépendance du pays face aux influences extérieures.
Cependant, il est possible d’espérer que les forces politiques libanaises finiront par comprendre que miser sur des solutions imposées de l’extérieur risque d’aggraver la crise plutôt que de la résoudre. L’autocritique et la recherche de solutions internes pourraient bien être la seule clé pour sortir du cercle vicieux dans lequel le pays est pris.
Un avenir libanais autonome est-il possible ?
Le Liban a toujours été un terrain de négociation entre les grandes puissances. Mais dans un monde en mutation, avec des alliances changeantes et de nouveaux centres de pouvoir émergents, le Liban a besoin d’une vision stratégique qui fasse de lui un acteur à part entière dans les équations internationales, plutôt qu’une simple arène de règlement de comptes.
La solution libanaise pourra-t-elle s’inscrire dans un nouveau « Yalta », ou les Libanais réussiront-ils à reprendre le contrôle de leur destin et à construire un pays en dehors des deals des grandes puissances ? La réponse réside dans leur capacité à surmonter leurs divisions internes et à comprendre que leur salut viendra de l’intérieur et non des tables de négociations internationales.
Dr Gilbert Moujabber